La Renaissance du Château des Baumes

Métamorphoses

 

Cela fait 57 ans que le seuil du Château des Baumes n’avait plus été officiellement franchi. Quand, le 16 novembre 1964, Anne Lemai, dernière habitante du domaine, quitte le rez-de-chaussée qu’elle occupait pour aller s’installer à Aix-en-Provence, elle laisse derrière elle toute une histoire qu’il est bon de raviver ici.

Il faut se projeter encore quatre siècles en arrière pour trouver les grandes traces d’occupation humaine sur ce promontoire rocheux en tuf datant du Pilocène (de-5,3 à -2,6 millions d’années). Et force imagination pour y voir essentiellement, à perte d’horizon, des activités agricoles.

La propriété, sise au quartier des Espartides, comprend, autour d’un bâtiment rural, terres labourables, vignes, prés, pâtures, ruches, pinède et broussailles.

On y accède à hauteur de l’actuel square Lazare-Ponticelli. Située à l’est du canal de Craponne, elle se complète, à l’ouest, par un verger au quartier dit de Pillautier. Si le cadastre de 1692 indique que son propriétaire est messire Sébastien Simiot, prêtre, on retiendra surtout deux noms qui ont forgé son identité et son destin, deux familles indissociables de la vie d’Istres, incarnant une bourgeoisie paysanne florissante. D’abord les Cappeau, propriétaires terriens, puis, au XIXe siècle, les Prat, manufacturiers, connus pour l’usine de Rassuen. De bâtiment rural à villa ce n’est pourtant qu’en 1908 que le clos
des Baumes va prendre la physionomie qu’on retrouve aujourd’hui. On la doit à Auguste Balthazar Denis Arduin.

La maison de maître initiale est carrée et à un seul étage. L’héritier des Prat, qui restera célibataire jusqu’à son décès en 1920, à l’âge de 66 ans, va consacrer une grande partie de sa fortune à en faire une villa de style italien, héritée des pavillons de chasse de l’Ancien régime, entre inspiration baroque et influences rococo,typiques de la Belle Époque. C’est cette métamorphose qui verra les Istréens la qualifier de Château.

Le sieur Arduin fait rajouter un second étage et deux ailes, dont la plus haute offre sept baies et autant de panoramas imprenables sur les étangs de Berre et de l’Olivier. Passé le portail d’entrée, gardé par deux lions sculptés, une allée de platanes débouche sur la résidence de luxe. Construite en pierre, briques et céramiques peintes, sa toiture à deux pentes est flanquée de hautes cheminées.

 

Vue imprenable

L’architecte marseillais Fernand Pouillon, à qui l’on doit la reconstruction du Vieux-Port après la Seconde guerre mondiale, en dessine les plans en 1948. Au rez-de-chaussée, on trouve un bureau, deux offices, une cuisine, un salon et une salle à manger. Le hall se prolonge d’un couloir menant aux escaliers. Le premier étage comprend un hall, six chambres, dont deux réservées aux bonnes, un vestibule, une lingerie et un WC séparé de la salle de bains, cette dernière constituant la fameuse loggia à sept baies. Le second étage se répartit entre un hall, une bibliothèque, un cellier, un WC-salle de bains, une antichambre et une loggia. Une source en contre-bas assure l’alimentation en eau potable grâce à deux puits et une éolienne. Mécène avant l’heure, Auguste Balthazar Denis Arduin parsème ses prairies de statues antiques et héberge ponctuellement de jeunes artistes désargentés qui, en échange, lui offrent des tableaux et signent des décorations sur les murs et les plafonds du Château. Avant de mourir, il cède par testament le vaste domaine à sa cousine, Marie Augustine Flavie Fabry, épouse Blachère, dont le mari, qui avait fait 14-18, s’occupera de l’exploitation du domaine jusqu’en 1942. Le couple aura deux filles. La cadette, Paule, devenue religieuse, c’est l’aînée, Marie, qui en devient propriétaire en 1951. Avec son époux, Joseph de Rougemont, ils ont huit enfants dont l’aînée, Anne, épouse Lemai, en aura donc l’ultime jouissance.

Outrages

Ce n’est pas seulement du temps dont le Château des Baumes a subi les outrages. En novembre 1942, envahissant la zone Sud de la France, les Allemands réquisitionnent de grandes demeures dans toute la Provence, dont les Baumes. Une garnison y est hébergée jusqu’à l’armistice de mai 1945, la bâtisse servant aussi d’hôpital de campagne. Après leur départ, le constat est accablant : la demeure a été pillée, les abords et les prés saccagés. Occupée ensuite par les Anglais et les Américains, ce n’est qu’en 1948 que les époux Blachère-de Rougemont reprennent possession de leur bien et assument les nécessaires rénovations : plafonds du premier étage qui menaçaient de s’effondrer, parquets du rez-de chaussée brûlés par les feux de cheminée, portes absentes, murets extérieurs écroulés, vaisselle sale enterrée dans la pinède…

En 1964, c’est l’État et la commune qui chassent définitivement la famille : vente face à des menaces d’expropriation, démembrement des terres, création d’une Zac des Baumes, du quartier de Vauranne. En pleine expansion, Istres doit fournir des logements aux travailleurs du complexe de Fos naissant. Neuf sociétés vont alors s’unir pour acheter le domaine et construire les actuelles résidences des Baumes. Occupé de façon hiératique, le Château est même utilisé jusqu’en 1974, par le promoteur Bruno Rostand, pour la commercialisation des appartements de la Baume, les premiers habitants y aménageant fin 1973. Figurant pourtant au sein des parcelles attribuées, le Château sur le plateau n’intéresse pas les promoteurs. S’ils ne le rasent pas, ils est laissé à l’abandon, devenu de fait le vestige d’un passé révolu, cerné par la modernité, entre le prolongement du boulevard Dethez et la percée de la CD5, future avenue Félix Gouin.

Condamnée, murée pour pallier les squats fréquents et les dégradations qui en résultent, la résidence – où ce qu’il en reste, avec une partie des planchers, les tirants et l’escalier hélicoïdal effondrés – est vendue en décembre 1996 au San Ouest Provence. En octobre 1999, de fortes pluies ont raison de la grande bâtisse attenante, qui s’effondre partiellement. On envisage alors de détruire aussi la bastide délabrée. Il n’en sera finalement rien. Coque vide et dévastée En juillet 2015, la parcelle est cédée gratuitement à la ville. C’est d’une coque vide et dévastée, mais à l’imaginaire populaire encore fort, dont hérite Istres.

Malgré les multiples pathologies et turpitudes, la décision de le réhabiliter est prise. Le chantier de cet édifice remarquable, exceptionnel à plus d’un titre, est placé sous la maîtrise d’oeuvre de Matonti Architecture & Patrimoine et réalisé de concert avec les Bâtiments de France afin de respecter l’esprit. Il débute le 1er septembre 2019 et va durer 20 mois, jusqu’au 30 mai 2021. 5 mois à eux seuls seront nécessaires pour refaire entièrement le grand escalier en marbre de Carrare. Bien avant, il a été nécessaire d’assurer le clos-couvert du bâtiment pour stopper le processus d’humidité constante et les affres liées aux intempéries, de sécuriser les quatre façades du bâti, à la limite de l’effondrement par l’intérieur, puis de procéder à la déconstruction : enlèvement des éléments instables subsistant de la charpente originelle, grâce à une grande nacelle de 70m passée par le haut puis déblaiement progressif des tonnes de gravats amoncelées. Il s’agit de garantir une sécurité optimale à tous les intervenants sans porter atteinte, ni aux murs porteurs, ni aux pignons du toit. Pour renforcer la structure porteuse, des butons sont posés en extérieur. S’ensuit une partie très importante : créer le plancher du premier étage, qui permettra aussi de solidariser les quatre façades. Quand il a été coulé, les murs ne pouvaient plus tomber et la bâtisse était à ce moment-là sécurisée.

Toutes ces phases successives, jusqu‘aux gros et second œuvre, ont généré pas moins de 34000 heures de travail, avec des entreprises hautement qualifiées pour ce type d’opérations. Ainsi, la société Bourgeois, qui signe la nouvelle charpente, travaille également sur la restauration de Notre-Dame de Paris.

Conversions

113 ans après le rêve de luxe et de confort d’Arduin, le Château des Baumes entame une nouvelle phase de son histoire, tournée cette fois vers le monde de l’entreprise et la promotion touristique du territoire. La gestion du site a été confiée à l’Office de tourisme. Sa capacité d’accueil en simultané peut aller jusqu’à 200 personnes. Outre les rendez-vous protocolaires de prestige, dans ce nouvel écrin approprié, l’Office sera spécifiquement chargé d’animer la salle de réception du rez-de-chaussée à travers conférences, visites, soirées thématiques, dégustations culinaires et œnologiques.

 

Sources et remerciements :

Rémi Balzano, l’Atelier du patrimoine des étangs, « Les cahiers du patrimoine » n°11 René Giroussens, Luc Fabre et les Amis du Vieil Istres, « Bulletin n°41 », 2019 et « Hors série spécial 70 ans », 2018.